Conversation On the Snow

Christian Dotremont experimenting with “spaced writings” (« écritures espacées ») on a reindeer sled, Sevettijärvi, Sápmi/Lapland, 1963. Unknown photographer.
 

Here you can listen to a conversation between Hilde and Caroline Ghyselen, who traveled to Sápmi/Lapland with Christian Dotremont in the spring of 1976. The interview happened on the evening of November 29, 2005 in one of the bedrooms at the Abbaye d’Ardenne, Saint-Germain-la-Blanche-Herbe (France). Today this is the site of IMEC, where the Christian Dotremont Fund was preserved at that time.

Below is a transcribed excerpt that starts from the passage where Caroline describes their departure from Copenhagen to the Far North. Earlier in the same discussion, she gave the following recollection of the first leg of the journey:

Hilde Van Gelder (HVG) – Vous vous souvenez de la date exacte du départ [de Bruxelles]? Comment s’est passé ce départ ?

Caroline Ghyselen (CG) – Nous sommes partis le 4 mai. Le départ était assez cocasse. Nous nous sommes retrouvés Gare du midi. A l’époque il existait encore la « Salle des pas perdus ». Nous nous étions donné rendez-vous dans une cafétaria, genre taverne très bruxelloise accordant l’accès à cette salle. Lorsque je suis arrivée Dotremont était déjà installé à une table ronde devant un café. Il portait une grosse redingote et avait les cheveux en bataille. Je m’en souviens très bien car il y avait autour de lui beaucoup de choses… un tas de colis, des paquets ficelés et des valises. Il portait des escarpins d’un cuir fin et de grosses chaussettes norvégiennes, qui lui permettaient à peine de ficeler ses lacets. Sur la table trônait un long bâton de bois, affûté au bout… Il l’a mis sur l’oreille comme un Officier des Postes, et j’ai ri évidemment. Il m’a dit : « C’est mon stylo. Il est bien mon stylo. Je prends toujours le même stylo avec moi ». Et puis, assez vite, nous nous sommes rendus sur le quai de la gare. On était une demi-heure avant le départ du train.

HVG. – Et puis vous êtes montés dans le train. Il partait pour quelle destination ?

CG – Pour Copenhague, directement. C’était un train à couchettes. Nous avons grignoté un morceau de pique-nique dans le train et puis nous nous sommes couchés. Et à ce moment, il a dit : « Bon, à tout à l’heure ». Et le lendemain matin, quand il s’est réveillé il m’a dit « Bonjour », mais il avait l’art de confondre les temps. Il disait à tout à l’heure lorsqu’il partait pour longtemps et il disait à demain quand il partait pour peu de temps, comme s’il ne voulait pas que les séparations soient longues, ou comme s’il voulait faire jouer les proximités. Cela me faisait rire. J’avais l’impression de vivre une blague dès le début du voyage.

The complete publication of this interview figures in the journal Europe, 79: 1079 (March 2019), 115–128, under the title “Entretien sur la neige.” In the final stage of the print proofs the editors (without consulting the author) revised the text to what now is an error in printing : on p. 121, it reads « écritures » whereas it should say « écritures espacées ».

In his magnificent book Grand hôtel des valises, locataire Dotremont (Éditions Galilée, 1981), Jean-Clarence Lambert elaborated on the meaning of the “spaced writings” (pp. 3742). Dotremont’s purpose was to write with a tube of Chinese ink the same word in variable circumstances: standing up, sitting down, walking, while traveling on a shaky postal bus, an air plane or a sled. From one year to the other, Dotremont made sure that the writing circumstances remained analogous. For example, he would go back to the same place on the exact same day in order to write down a similar constellation of words.

Lambert appropriately interpreted these repetitive activities as “artistic realizations” (« réalisations de l’art »). As such, Christian Dotremont figures among the very first pioneers who prefer “artoral activity” (« l’activité artorale ») to the production of artistic objects/oeuvres. These activities are a prime illustration of Dotremont’s desire to consider every aspect of reality as a field of activity for an artist. His ethical position was one of refusal of the separation between art/poetry and life. This attitude goes hand in hand with a desire to abandon bourgeois culture. Lambert quoted Dotremont from an unpublished note, preserved in the papers of the artist Pierre Alechinsky:

“The trick of bourgeois culture is 1) to isolate painting from life, etc.; 2) to chose within the present and past history of painting some positions that contradict one another and to present these contradictions as formative of a life independent from life and as exhausting the possibilities of/for art. But painting and life go together. And that what is vital in painting — as in life — is not what contradicts but what gets beyond dépasse »). The painting that we love finds itself direct in relations to life — and for that matter she disobeysdésobéit ») the contradictory classifications of the history of modern painting. All contemporary painting that obeys these classifications is sterile.”

Hereafter is the transcription of the relevant audio excerpt :

CG – [Depuis Copenhague] nous avons pris le bateau pour nous rendre en Suède. Nous avons fait Copenhague – Malmö.

HVG – C’était en début de soirée?

CG – C’était en début de soirée et nous avons logé à Malmö pour la première nuit. L’hôtel de Copenhague n’a servi qu’à la sieste. Là il a fallu chercher un hôtel pour la nuit.

HVG – Il n’était pas réservé d’avance ?

CG – Non, pas du tout. J’ai commencé à visiter quelques hôtels, mais ils affichaient tous complets. J’ai alors laissé Christian quelque part où il pouvait s’asseoir près des bagages et je suis allée chercher de nouveau un hôtel. Dès que j’en ai trouvé un, après avoir réservé les chambres, je suis partie le chercher avec tous les bagages. On est allés dormir et le lendemain on est partis faire notre bout de route suivant. Dès ce moment-là, on est montés vers le Nord plus encore vers Luleå en avion. Après Luleå nous avons pris un train jusque Haparanda qui était la dernière gare car plus haut, il n’y avait plus de train. Là donc, on a logé dans la gare même, qui était une gare-hôtel. De Haparanda, on a pris un taxi pour passer la frontière Suède-Finlande. Cette frontière-là, il l’a passée à pied. Il l’avait déjà passée à pied plusieurs fois dans le passé. Il a donc demandé au taxi de s’arrêter et il m’a demandé de le photographier.

HVG – Je n’ai jamais vu ces photos, je pense. Qu’est-ce qu’il faisait ?

CG – Il avançait simplement. Il y avait un panneau. D’un côté on voyait Suomi, la Finlande et de l’autre, la Suède. Et donc, il mettait le pied entre les deux pays en souriant. Dès la photo prise on est remontés dans le taxi pour Rovaniemi. A Haparanda, dans le même état d’esprit, il m’avait demandé de photographier la gare, et il insistait pour que l’horloge soit bien reprise sur la photo… En fait, il avait déjà pris ces mêmes photos à d’autres reprises et à d’autres moments dans ses voyages en Laponie. D’une certaine façon, il aimait que l’image se répète. Après quelques heures de voyage en taxi, on a pris le bus qui faisait Rovaniemi – Sodankylä et Sodankylä – Ivalo. C’était toujours le même trajet, les mêmes façons de voyager, les mêmes types de transports.

HVG – Est-ce qu’il a fait des « écritures espacées » durant le voyage ?

CG – Non, pas que je sache… Nous sommes donc arrivés à Ivalo chez Madame Kukkola, qui était notre logeuse. Elle nous a installés dans deux chambres contiguës séparées par un mur en carton. Nous avions très peu de place, mais on était très contents. On avait un lit, une table et un poêle qui chauffait les deux pièces. Elle nous servait le petit déjeuner. Nous pique-niquions à midi. Christian avait une petite valise qui était pleine de boîtes de corned-beef. On avait des provisions pour un mois. J’allais chercher le pain tous les matins. J’allais à la poste restante chercher le courrier. Après le petit déjeuner, nous travaillions puis nous déjeunions. Il faisait sa sieste, moi je continuais à travailler l’après-midi. La vie était réglée de façon très minutée. Il y avait un ronron, quelque chose qui se répétait, du matin au soir et du soir au matin. Après sa sieste de l’après-midi, il allait faire une promenade avec moi. Très courte. Mais tous les jours un peu plus longue. Parce qu’il se sentait de mieux en mieux. Je crois qu’il était bien. Il se sentait heureux. Il blaguait beaucoup. Le soir, nous sortions toujours au même Baari, à Ivalo, où nous mangions des saucisses et buvions de la bière. Nous rentrions tôt pour nous coucher à dix heures et nous lever à huit heures. Tout était extrêmement réglé.

HVG – Donc, vous travailliez à votre mémoire de licence et Christian Dotremont écrivait des lettres.

CG – Oui, il faisait beaucoup de courrier. Il lisait aussi. Plus tard, il s’est mis à faire des logogrammes.

HVG – Avant de parler des logogrammes, je voulais revenir sur les promenades, car ce n’était pas de véritables promenades…

CG – Non. Au début, on faisait cinq ou six mètres à l’aller et cinq ou six mètres au retour…

HVG – Néanmoins vous étiez habillés comme en plein hiver.

CG – Oui, car même au mois de mai, il faisait froid. Au début du séjour il gelait et donc il y avait encore beaucoup de neige. Mais à un moment donné, il n’y en avait presque plus. Tout à coup nous avons compris qu’il fallait qu’on réagisse et qu’on devait aller travailler dans la neige sans tarder parce qu’elle fondait.

HVG – Quand exactement vous vous êtes rendu compte qu’il fallait faire des logoneiges ?

CG – C’était le soir du 17 mai, dans ce Baari où nous étions en train de manger, lorsqu’on a entendu la terre trembler. Il m’avait parlé souvent d’ « orage de neige ». Quand le dégel est arrivé cela a fait comme un bruit de tremblement de terre, et nous sommes sortis précipitamment du Baari pour nous rendre là d’où venait le bruit. Il venait de la rivière Ivalo, parce que d’énormes blocs de glace se détachaient des berges. C’était un craquement incroyable. À cette époque-là, la nuit ne se couchait déjà plus. Il faisait jour toute la nuit, comme entre chien et loup. C’est étrange ces nuits blanches lorsque la lumière reste vive.

HVG – En fait, ce soir-là il marchait, puisque vous avez dit que vous alliez au Baari et ensuite vous vous êtes rendus à la rivière. Comparé à ces promenades du jour, lorsqu’il ne faisait que quelques mètres, est-ce que cela avait un aspect de performance ? Jusqu’où était-ce sa maladie qui lui faisait part et à quel point intervenait peut-être l’élément du jeu ? C’est important de clarifier ce point vis-à-vis de sa personnalité et pour mieux comprendre comment il concevait le rituel de ses activités en Laponie.

CG – Je ne saurai jamais le fin fond de la vérité. Ce que je peux dire, c’est qu’il avait un zen personnel. Il marchait très lentement pour prendre conscience du temps. Le temps était très important pour Christian. Il se rendait compte qu’il était vivant. Quand il allait lentement, il profitait de tout. Il disait toujours « En Laponie, il y a si peu qu’on voit tout ». Donc, il y avait cet aspect-là. Je ne sais pas si c’était une performance que de parcourir un trajet court, de plus en plus long, lentement, de plus en plus long, d’un jour à l’autre. C’est possible que ce soit une performance.

HVG – Il y a sa conception de l’espace aussi qui intervient.

CG – Oui, il y a l’idée de l’espace, du mouvement, du fait qu’il était capable de se mettre en mouvement. Cette joie de savoir qu’il pouvait bouger encore, de prendre doublement conscience de ça. Il faut vous imaginer que tous les jours, nous faisions un trajet de plus en plus long, mais quand même mesuré. Toujours mesuré. A la fin du séjour, il marchait de mieux en mieux, puisqu’après cette dérive des glaces dans la rivière Ivalo, nous sommes allés faire des logoneiges. Il fallait déjà plus d’énergie pour faire ça. Comme la neige fondait, à un moment donné il y avait urgence, sinon il n’y aurait plus de pages blanches, plus de morceaux de neige dans le paysage qui se prêteraient au travail.

HVG – Il tenait votre bras ou il marchait seul ?

CG – Il prenait toujours mon bras gauche. Il disait du côté du cœur.

HVG – Il avait son bâton, ou un bonnet ?

CG – Il avait un simple bonnet avec un pompon, ses chaussures de cuir avec des grosses chaussettes, toujours, qu’il neige ou pas. Une écharpe, son gros loden, un pantalon gris classique. Donc, c’était assez inouï, parce qu’il était toujours habillé comme en ville, sauf le bonnet et les chaussettes. Il me faisait beaucoup rire dans ses escarpins très classiques, très italiens, très fins.

HVG – Comment progressait-il durant ces promenades ? Est-ce qu’il contournait des arbres, allait-il tout droit dans la neige ou faisait-il des courbes ?

CG – Non, il traversait. On allait ici et là, mais jamais loin.

Page from Christian Dotremont’s magazine Strates n°3, October 1964, representing four examples of his “spaced writings” (écritures espacées).

Dotremont penciled down the French words “rhubarbe” (rhubarb), “pataquès” (mess) and “à la longue” (in the long run) on a paper sheet lying on his lap while he was underway traveling with various means of transportation.
The writing reflects both the physical/spatial conditions of the journey and the author’s state of mind.

Accompanying the first note, it reads:
March 1963
Postal bus approaching from Vuotso (my trajectory : Rovaniemi-Ivalo); evening ; starving

Underneath the second note is marked:
Varangfly airplane flying over the Finnish-Norvegian border (Ivalo-Kirkenes); noon; all eyes -Bachelarding [referring to Gaston Bachelard]

The third note says:
April 1963
Eskelinen Bus leaving from Inari (Ivalo-Kaamanen); morning; neutral

The fourth and final note indicates:
Postal caterpillar approaching from Sevettijärvi (Kaamanen-Sevettijärvi); afternoon; playful

Unknown photographer [most likely Christian Dotremont’s Lapp guide Radomir], black-and-white polaroid photograph of Christian Dotremont at work on the creation of his logosnow Ici ma terre d’élection, ici mon village de vagabond, 8 x 8 cm, 1973. ©Guy Dotremont

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